TRAVAIL - L'épuisement professionnel ou burn-out n'est pas réservé aux employés de bureaux
Vivre de sa passion a parfois un coût, surtout lorsqu'elle devient sa seule source de revenus
Le petit monde de la blogosphère l'apprend à ses dépens. Depuis plusieurs années, blogueurs ou blogueuses professionnels, qu'ils aient une plateforme écrite ou une chaîne YouTube, se retrouvent parfois confrontés à un surmenage inattendu
Difficile à imaginer pour celui qui n'a qu'une vision lointaine du métier de "blogueur" ou d'"influenceur"
De quoi seraient-ils surmenés? D'un voyage tous frais payés dans un pays paradisiaque? Récemment, c'est Betty Autier (885
000 abonnés sur Instagram), l'une des premières blogueuses mode française, qui s'est confiée sur la difficulté de son métier sur Instagram
Elle a notamment évoqué les nombreux problèmes de santé que son rythme de travail effréné a provoqués dès 2012
Si elle ne parle pas clairement de "burn-out", son témoignage montre bien que les clichés ont la vie dure et que la vie de blogueur a encore tout du quotidien fantasmé
Dans son article "Confessions d'une blogueuse en burn-out" publié le 9 mai, Victoria, auteure du blog bien-être "Mango and Salt" (140
000 abonnés tous réseaux sociaux confondus), n'hésite pas à mentionner ce tabou. Et elle n'est pas la seule à se sentir honteuse après avoir craqué
Comme en témoigne un papier du site américain Polygon début juin, de nombreux youtubeurs ayant parlé de leur burn-out ou de leur troubles anxieux ont reçu des commentaires sceptiques, voire culpabilisants de la part de leurs abonnés
Des réactions qui peuvent favoriser le burn-out, estime Clémence Peix-Lavallée, sophrologue spécialiste de ce type de maux
"La perte d'accomplissement est l'un des trois symptômes du surmenage, avec l'épuisement physique et mental, ainsi que la dépersonnalisation
Le regard des autres est essentiel dans le métier de blogueur, et quand son travail n'est plus valorisé ou que les commentaires sont négatifs, la perte de sens et le craquage ne sont pas loin
Ce métier est encore plus vicieux, car il faut toujours avoir l'air cool sur les réseaux sociaux", analyse-t-elle pour Le HuffPost
Dans la course aux annonceurs et la chasse aux abonnés, il arrive souvent que les blogueurs perdent ainsi de vue leur passion
Les plus connus ne sont pas à l'abri, à l'image d'EnjoyPhoenix, première youtubeuse française qui, avec ses 3 millions d'abonnés, à confié à plusieurs reprises se sentir "au bord du burn-out" et avoir déjà ressenti "l'obligation" de publier une vidéo, bien que le sujet ne lui plaisait pas
Emily, du blog "La minute d'Emy" créé en 2013, n'en est heureusement pas là, ne vivant pas exclusivement de cette activité
Mais elle a elle aussi frôlé le burn-out il y a plus d'un an lors de la refonte totale de son site
"J'étais rentrée dans une spirale de publication, avec plus de 1000 articles en quatre ans", raconte-t-elle au HuffPost
Pour s'en remettre, elle s'impose une détox digitale, une politique zéro-blogging durant les voyages, et se recentre sur ses envies, comme elle l'explique dans un papier de 2017 intitulé "Comment je lutte contre le burn-out de la blogueuse"
Elle y donne des conseils qu'elle espère universels. "J'anime un réseau de blogueuses lifestyle que j'ai créé pour échanger, et beaucoup me confient être à bout
Il est arrivé que plusieurs filles me disent 'je vais lâcher', par manque de retours et parce qu'elles se comparent trop aux autres", analyse-t-elle
La comparaison, Manon du blog "Manon L'aime", l'a refusée dès le début. "J'étais mannequin avant d'être blogueuse, donc je suis vraiment habituée au stress et je refuse désormais de comparer mon travail avec d'autres", affirme celle qui vit de cette activité depuis maintenant un an et demi
Elle reste persuadée que le burn-out, elle le verra venir de loin après en avoir déjà fait un en tant que modèle
Lâcher prise sans se déconnecter, le casse-tête du métier de blogueur Le réveil se fait généralement à 7h30 pétantes, avant un café avalé en vitesse devant des mails à trier, des statistiques à vérifier, des liens d'affiliation à tester et des rendez-vous à organiser
Viennent ensuite les publications Instagram à programmer, les articles de blogs à écrire ou vidéos à peaufiner
Sans oublier les indispensables "story" à publier tout au long de la journée et les événements à ne pas rater en soirée
À cela, il faut éventuellement ajouter les projets connexes: lancement d'une marque, écriture d'un livre
Le quotidien d'une blogueuse ou youtubeuse n'a rien à envier à un chef d'entreprise et s'intensifie même parfois pendant les voyages, sources de contenus très appréciés sur les réseaux sociaux
"Depuis que j'ai commencé YouTube (il y a quatre ans, NDLR), il n'y pas un seul voyage pro ou perso, aucune vacances ou je ne stresse pas à l'idée de manquer de plans pour mes vidéos, de posts pour Instagram ou de ne pas en montrer assez sur Snapchat
", avoue Ashley au HuffPost, influencueuse sur YouTube et Instagram sous le pseudo @ashwayoflife
Un ressenti qui résonne aussi chez Manon, qui a justement vu son blog exploser lors d'un voyage à Los Angeles
"Les voyages, ça aide beaucoup, ça fait rêver. On est obligé de les documenter", concède-t-elle
Pas le temps donc pour une détox digitale, que les deux jeunes femmes n'imaginent pas une seconde, même si elles essayent de laisser leurs téléphones de côté en soirée
Pourtant, le lâcher-prise sur une période donnée est primordial pour éviter le burn-out, et ses bienfaits ne se ressentent souvent qu'après coup
Ce que Caroline Receveur, ancienne star de télé-réalité, blogueuse et auteur du livre "No Filter" reconnaît volontiers après un arrêt forcé durant sa grossesse
"C'est une des choses que m'ont appris ces trois premiers mois et que je ne savais pourtant pas faire avant: lâcher prise! J'ai dû pour une fois dans ma vie réaliser que je n'étais pas en état de gérer quoi que ce soit et qu'il n'y avait pas mort d'hommes", écrivait-elle dans un article de février
Le burn-out, on le vit souvent intensément avant d'oser en parler publiquement. C'est ce que Clémence Peix-Lavallée remarque, ayant déjà reçu quelques youtubeurs à ce sujet dans son cabinet
"Les trois-quart en parlent après, quand ils ont réussi à retrouver leur identité
Sur le moment, c'est une trop grande souffrance", explique-t-elle, rappelant que les signes avant-coureurs du burn-out énoncés en début d'article sont difficiles à décerner et souvent niés par le principal intéressé
D'autant plus que les personnes ayant choisi le métier de blogueurs sont souvent particulièrement sensibles
"Ce sont des gens dans l'empathie et très engagés dans ce qu'ils font. Ils sont en contact permanent avec les autres, et, un peu comme le personnel soignant, leur profession est souvent dévalorisée
On peut vraiment dire que c'est une population à risque", affirme-t-elle. Pour preuve, les blogueurs ou youtubeurs sont de plus en plus nombreux à témoigner de leur burn-out, ou à s'ouvrir à propos de leurs troubles mentaux à l'image de Zoella, youtubeuse et blogueuse anglaise star, ou plus récemment l'espagnol El Rubius
Pour Clémence Peix-Lavallée, les blogueurs et youtubeurs sont comme des "sportifs de haut niveau d'Internet" et devraient donc, comme eux, adopter la sophrologie dans leur routine hebdomadaire
"C'est une manière de travailler sur le corps et l'esprit, les deux acteurs qui craquent lors du burn-out", précise-t-elle
Et une fois que le craquage est acté, le mieux est encore de changer de cadre. "Souvent, les blogueurs vont changer de pièce de travail, de décoration, mais certains vont même jusqu'à déménager puisqu'ils travaillent de chez eux!", raconte-t-elle, en prenant comme exemples certains youtubeurs reçus dans son cabinet
La spécialiste, qui sort prochainement un ouvrage sur le sujet aux éditions Odile-Jacob, nuance tout de même: "Le burn-out n'est pas une fatalité, c'est un rite initiatique pour se retrouver"
L'occasion peut-être de parler de nouveaux sujets, plus en accords avec soi-même, quitte à se couper d'une partie de son public
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